Bernard Pivot, le roi Lire, est mort

Le journaliste et animateur d'« Apostrophes » est mort à 89 ans. Il aura consacré sa vie à la défense de la littérature et des écrivains.

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Le vendredi soir, vers 21 h 30-22 heures, la littérature entrait dans tous les foyers de France. Un homme entre deux âges à l'enthousiasme contagieux posait des questions faussement naïves à une demi-douzaine d'invités. Il ne les coupait que rarement, les rudoyait encore moins souvent, semblait passionné par leurs réponses, les félicitait, ne les mettait jamais en concurrence. Le décor était spartiate : un public aux cheveux poivre et sel, un décor pâle, des tables basses, des fauteuils sans charme et quelques notes de Rachmaninov pour ouvrir et fermer ce temps suspendu. Nos mères et grands-mères se pâmaient. Elles notaient consciencieusement le nom de l'auteur et le titre de l'ouvrage que celui-ci était venu défendre.

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Je vous parle d'un temps que les moins de 30 ans ne peuvent pas connaître. C'était avant ! Avant Amazon, avant les chaînes d'info, avant les livres numériques, avant que n'importe quel « people » ne se croie autorisé à nous raconter sa vie, avant que les chroniqueurs télé ne fassent la loi sur le petit écran. À la baguette, en arbitre des élégances, Bernard Pivot, mort à l'âge de 89 ans. Un inlassable lecteur, journaliste éveillé à la fois dénicheur de talents et respectueux de ses aînés.

Les derniers morceaux d'une Atlantide aujourd'hui engloutie

Bernard Pivot, promoteur des livres à la télé.
©  GEORGES HERNAD / Ina / Ina via AFP
Bernard Pivot, promoteur des livres à la télé. © GEORGES HERNAD / Ina / Ina via AFP
Marguerite Yourcenar y était reçue avec déférence ; Jean d'Ormesson en rock star ; Bernard-Henri Lévy et les nouveaux philosophes y firent une apparition fracassante ; François Mitterrand y étala sa culture ; Charles Bukowski délira et tituba tant il était pris de boisson ; Denise Bombardier se paya Gabriel Matzneff ; Eugénie Carle, Catherine Paysan, les romanciers de l'École de Brive prouvèrent que Saint-Germain-des-Prés n'était pas le centre de la vie littéraire française ; Marguerite Duras y gagna son prix Goncourt ; Dai Sijie y fit connaître son premier roman, Balzac ou la petite tailleuse chinoise ; François Nourissier fit rugir son érudition moqueuse ; Patrick Modiano roda son élocution timide ; Paul-Loup Sulitzer fut confronté à son « nègre »… On écoutait en comprenant vaguement qu'on assistait à des moments rares. On ne saisissait pas encore qu'il s'agissait là des derniers morceaux d'une Atlantide aujourd'hui engloutie.

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Bernard Pivot s'entretient le 17 septembre 1993 à Paris avec l'écrivain russe Alexandre Soljenitsyne, sur le plateau de son émission « Bouillon de culture ».
©  JOEL ROBINE / AFP
Bernard Pivot s'entretient le 17 septembre 1993 à Paris avec l'écrivain russe Alexandre Soljenitsyne, sur le plateau de son émission « Bouillon de culture ». © JOEL ROBINE / AFP
Et qu'on ne fustige pas l'entre-soi des années 1980-1990 ! Styron, Soljenitsyne, Tom Wolfe, John Le Carré, le dalaï-lama, Umberto Eco, Susan Sontag, Norman Mailer, Vladimir Nabokov éclairaient de leurs lumières les débuts de la mondialisation. Pendant plus de vingt ans, de futurs Prix Nobel et autant de Goncourt vinrent donner le meilleur d'eux-mêmes. Le 22 juin 1990, Bernard Pivot ferma ses Apostrophes après 724 émissions (de 1975 à 1990) pour cuisiner pendant dix autres années un Bouillon de culture tout aussi foisonnant et stimulant.

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Viré du Figaro par Jean d'Ormesson

Pour service rendu à la littérature, à la télévision, à la culture, à la France, Bernard Pivot fut élu en 2004 à l'Académie Goncourt. Dix ans plus tard, il en prit la présidence. Et dépoussiéra les us et coutumes d'une institution qui ronronnait : limite d'âge, processus de vote, meilleure considération d'éditeurs qui jusqu'ici restaient aux portes de Drouant, transparence… Ici aussi, il y eut un avant et un après-Bernard Pivot. En décembre 2019, il quitta ce cénacle qui lui allait si bien. « Place aux jeunes, assurait-il. Après avoir passé mes journées à lire, j'ai envie de faire autre chose, de voyager, de voir les miens. » Tout le monde y a cru, mais ses amis, qui le savaient ou le devinaient malade, comprenaient qu'il entamait le dernier chapitre d'une vie où la littérature le cédait parfois au football et au vin, ses deux autres passions. Les oiseaux se cachent pour mourir et Bernard Pivot, l'aigle du journalisme littéraire, commençait à replier ses ailes.

Ce Lyonnais qui fit ses premières armes journalistiques au Progrès puis au Figaro littéraire, puis au Figaro, dont il fut viré par… Jean d'Ormesson en 1974, allait à regret mettre un point final à l'histoire de sa vie. Les deux hommes nouèrent pourtant une solide amitié et cet accroc offrit à Pivot l'occasion de créer, à l'instigation de Jean-Louis Servan-Schreiber, le mensuel Lire, un magazine entièrement dédié à la littérature.

Le dictée de Bernard Pivot, véritable institution médiatique.
©  ANNE-CHRISTINE POUJOULAT / AFP
Le dictée de Bernard Pivot, véritable institution médiatique. © ANNE-CHRISTINE POUJOULAT / AFP

Ce fils d'épiciers, qui avait donné le goût de la lecture et l'amour de la littérature à tant de téléspectateurs, après avoir interviewé les plus grands écrivains (de Bukowski à Marguerite Duras en passant par Soljenitsyne ou Milan Kundera), s'est éteint ce lundi à l'âge de 89 ans, à Neuilly-sur-Seine.

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Commentaires (33)

  • ANTARES_BETA_SCORPII

    De son temps l'esprit existait en France... RIP Monsieur Pivot

  • Ysa2

    Perte immense et chagrin pour tous. Chez nous, nous ne manquions aucune de ses émissions ! Tant d'érudition présentée simplement fait qu'aujourd'hui encore on se souvient de certaines de ses émissions.
    question : Macron va-t-il se faire plaisir en un hommage fait d'envolées littéraires propres à s'admirer, , ?

  • Octobre38

    Tellement différent de nos animateurs contemporains : il ne se mettait jamais en avant et savait faire parler ses invités sans nous abreuver de commentaires verbeux. Quel artiste !