La Gironde expérimente le car express « pour que les habitants lâchent leur voiture »

REPORTAGE. Cette initiative a été lancée en 2019 pour desservir des territoires où ni le train, ni le bus, ni le tramway ne vont. Les habitants excentrés de la métropole bordelaise y prennent goût.

Par Arnaud Paillard, à Bordeaux (Gironde)

Un car express au niveau de l'arrêt « République » à Bordeaux (Gironde), le 15 janvier 2024. 
Un car express au niveau de l'arrêt « République » à Bordeaux (Gironde), le 15 janvier 2024.  © Arnaud Paillard

Temps de lecture : 7 min

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En Gironde, un car express a permis de réduire la dépendance automobile des habitants de la grande banlieue bordelaise, pour un coût bien inférieur à celui d'un train. Une solution facile à mettre en œuvre qui pourrait être généralisée, à condition de lever les obstacles pour garantir une circulation fluide. Le principal défi étant de garantir des voies réservées, y compris sur les autoroutes, alors que l'État n'est pas moteur sur le sujet. Vers la révolution du car ?

Les 64 places du bus 407 en direction de Créon ne sont pas toutes occupées en ce milieu d'après-midi glacial du début du mois de janvier, mais les sièges se remplissent de façon régulière. À chaque arrêt, les passagers qui montent valident leur abonnement du geste sûr de ceux qui le font tous les jours.

Certains échangent quelques mots avec le chauffeur, comme des habitués. Passé les zones d'activités en périphérie est de la métropole bordelaise, les habitations se font plus rares. Le bus prend son rythme de croisière en roulant sur une voie qui lui est réservée. Les usagers s'assoupissent ou regardent une série sur leur téléphone.

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Liaison régulière

C'est le cas d'Océane, une étudiante en deuxième année de psychologie sur le campus de la Victoire, à Bordeaux, qui habite chez ses parents, à Sadirac, une petite commune située à une vingtaine de kilomètres de la métropole bordelaise. « Je prends cette ligne tous les jours pour aller à la fac. Le trajet prend entre trente et quarante minutes, un peu plus quand il y a des bouchons, mais c'est plus rapide et plus reposant que si je conduisais », confie Océane, ayant mis sa série en pause sur son téléphone.

À bord d'un car de la ligne 407, le 15 janvier 2024, entre Bordeaux et Créon, en Gironde. « Je prends cette ligne tous les jours pour aller à la fac. Le trajet prend entre trente et quarante minutes, c’est plus rapide et plus reposant que si je conduisais », confie Océane, étudiante.
 ©  Arnaud Paillard
À bord d'un car de la ligne 407, le 15 janvier 2024, entre Bordeaux et Créon, en Gironde. « Je prends cette ligne tous les jours pour aller à la fac. Le trajet prend entre trente et quarante minutes, c’est plus rapide et plus reposant que si je conduisais », confie Océane, étudiante. © Arnaud Paillard

Auparavant, la jeune femme prenait la ligne 404, une autre ligne de car régionale, qui relie également la périphérie est de Bordeaux à la métropole, mais qui dessert toutes les communes sur son itinéraire. « Le trajet prenait une heure, voire plus. Le bus faisait des détours dans la campagne. Ce qui est bien avec la ligne 407, c'est qu'elle prend le même chemin que je prendrais si je prenais ma voiture », se réjouit l'étudiante.

À LIRE AUSSI Transports parisiens : le grand ras-le-bolCar la ligne 407 n'est pas une ligne ordinaire. Elle a été créée, de façon expérimentale, par la région Nouvelle-Aquitaine en 2019. Le but : offrir une liaison régulière, avec une amplitude horaire élargie et des temps de trajets compétitifs entre Créon, une petite ville d'un peu moins de 5 000 habitants située dans l'Entre-deux-Mers, dont la population a plus que doublé depuis 1975 à la faveur de la périurbanisation, et la métropole bordelaise, où l'on trouve services et emplois.

« Ponctuelle, rapide, pratique et peu onéreuse »

Si l'idée de créer des lignes de « cars express », pour desservir des territoires où le train ne va pas, germe dès 2017, la crise des Gilets jaunes lui donne une nouvelle urgence. « À ce moment-là, quand j'échangeais avec les habitants des territoires lointains, mal reliés par les transports, comme le Blayais ou l'Entre-deux-Mers, je me suis rendu compte de leur dépendance extrêmement poussée à l'automobile, à leur vulnérabilité face au coût de l'énergie et surtout aux encombrements sur la rocade bordelaise », se rappelle Alain Rousset, président de la région Nouvelle-Aquitaine.

La mise en place de la ligne 407 répond à un impératif : diminuer la pression automobile dans ces territoires où les transports en commun urbains – tramway ou bus – ne vont pas, mais qui sont dépendants de la métropole avoisinante.

À bord d'un car de la ligne 407, le 15 janvier 2024, entre Bordeaux et Créon, en Gironde.
 ©  Arnaud Paillard
À bord d'un car de la ligne 407, le 15 janvier 2024, entre Bordeaux et Créon, en Gironde. © Arnaud Paillard

« Pour que les habitants lâchent leur voiture et prennent le car [c'est ce qu'on appelle dans le jargon le report modal, NDLR], il faut plusieurs conditions : une ligne régulière, ponctuelle, rapide, pratique et peu onéreuse », poursuit Alain Rousset.

La ligne 407 propose trente allers-retours quotidiens entre Créon et Bordeaux, de 6 heures du matin à 22 heures, contre à peine sept pour la 404, la ligne classique que prenait auparavant Océane. Les voies réservées lui permettent d'éviter, au moins en partie, les embouteillages de la métropole bordelaise. Les horaires sont cadencés au quart d'heure, en heure de pointe du matin, à la demi-heure pour la pointe du soir, à l'heure pendant les heures creuses.

Un « choc d'offres » de transport public

Et ça fonctionne. La fréquentation de la ligne 407 n'a cessé de croître depuis sa mise en place. « Le nombre d'usagers a doublé depuis 2019 et cette augmentation se fait en grande partie chez les actifs », un public qui utilisait principalement sa voiture auparavant, note l'agence d'urbanisme de la région bordelaise dans une étude publiée en 2022. Si, en 2019, la ligne comptait 92 000 passagers, ils sont 195 000 en 2022, et plus de 200 000 en 2023. Parmi ceux-ci, plus d'un sur deux possède une voiture.

À LIRE AUSSI SNCF et RATP : comment expliquer la grande pagaille ? « L'augmentation du coût de l'essence a eu un impact considérable sur la fréquentation », reconnaît le président de la région, qui se félicite d'offrir une solution à bas coût aux habitants excentrés de la métropole bordelaise pour leur mobilité. La recette du car express a connu un tel succès que la région Nouvelle-Aquitaine vient d'inaugurer une deuxième ligne, entre Blaye et Bordeaux, dans le cadre de la mise en place d'un service de RER métropolitains. Lesquels devraient être généralisés en France après les annonces de financement (à hauteur de 700 millions d'euros) par l'Élysée en septembre dernier.

À bord d'un car de la ligne 407, le 15 janvier 2024, entre Bordeaux et Créon, en Gironde.
 ©  Arnaud Paillard
À bord d'un car de la ligne 407, le 15 janvier 2024, entre Bordeaux et Créon, en Gironde. © Arnaud Paillard

« Pour la moitié du coût d'exploitation d'une ligne de train, vous aurez une fréquence de cars quatre fois supérieure », plaide Édouard Hénaut, directeur général France de Transdev, qui exploite, via sa filiale Citram, la ligne 407. Pour lui, il est de la responsabilité des pouvoirs publics de créer un « choc d'offres » de transport public dans les périphéries des métropoles, afin de désenclaver une population captive de son automobile et des coûts qui y sont liés.

« Les collectivités ont beaucoup travaillé sur les centres des métropoles, avec la renaissance du tramway depuis une vingtaine d'années. Désormais, il est logique de se tourner vers les périphéries, en offrant un niveau de service élevé. » Édouard Hénaut accompagne les collectivités dans la mise en place de services express.

Il souligne, auprès du Point, l'importance de ne pas multiplier les arrêts pour offrir des temps de parcours attractifs. Ces lignes devraient se multiplier selon lui, aussi bien en périphérie des grandes villes, comme en Île-de-France, qu'entre villes modestes, comme entre Cherbourg et Rennes.

Difficiles voies réservées

Ces services de car trouveront leur public à condition d'offrir des vitesses commerciales élevées, ce qui nécessite de leur aménager des voies réservées le long de leur itinéraire. Une option qui constitue un « scénario idéal », selon Édouard Hénaut, car il permet de sécuriser les temps de parcours, mais qui a un coût.

La région Nouvelle-Aquitaine aimerait multiplier les cars express autour de Bordeaux, un projet à 14 millions d'euros pour trois nouvelles lignes – dont les aménagements sont réalisés par le département. « Sans oublier 1,4 million d'euros d'exploitation par ligne, pris en charge par la région, la métropole et le syndicat mixte de transport », rappelle le président de la région.

À LIRE AUSSI Autriche : un tatouage contre un an de transport gratuitIl reste qu'il est parfois impossible de mettre en place ces voies réservées. Entre Bordeaux et Blaye, la nouvelle ligne de car express 430 devrait bénéficier d'une voie réservée sur l'A10 et sur le pont d'Aquitaine, un point noir de la circulation girondine, mais pas tout de suite.

« C'est nécessaire, pour viabiliser les temps de parcours. Malheureusement, sur une autoroute, c'est extrêmement compliqué. Il faut composer avec Vinci, le délégataire de l'infrastructure, ainsi que l'État, qui veut tout faire mais qui n'en a pas les moyens », regrette Alain Rousset, qui espère voir passer des cars sur l'autoroute (pleins de préférence) d'ici à cinq ans au maximum.

À bord d'un car de la ligne 407, le 15 janvier 2024, entre Bordeaux et Créon, en Gironde.
 ©  Arnaud Paillard
À bord d'un car de la ligne 407, le 15 janvier 2024, entre Bordeaux et Créon, en Gironde. © Arnaud Paillard

Pour Alain Richner, vice-président de la Fédération nationale des associations d'usagers des transports chargé des mobilités urbaines, le sujet principal reste celui de la congestion : « La meilleure publicité pour le transport collectif, c'est quand un autocar vous double alors que vous êtes coincé dans les bouchons. »

Pour ce responsable associatif, la France reste très en retard dans le développement des transports routiers, notamment dans la ruralité. « En Autriche, dans la région très rurale du Bregenzerwald, les pouvoirs publics ont réussi à créer un réseau attractif d'autocars », souligne Alain Richner.

Les vingt lignes de bus y circulent de 7 heures à 20 heures, y compris le week-end, sont cadencées à l'heure, les correspondances entre les lignes sont assurées, les tarifs sont bas et le design des arrêts soigné. En suivant cet exemple, il serait possible de sortir les territoires périphériques et ruraux de la dépendance à la voiture individuelle. Encore faudrait-il en avoir la volonté politique.

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Commentaires (13)

  • Gordien 40

    E type de transport était la raison d'être de la société Citram qui desservait la périphérie de Bordeaux dans les années 50-60 et dont la gare centrale se situait rue Fondodège. Tous les vieux Bordelais savent cela.

  • Djill-59

    En 2035, même pas un quart de la population aura les moyens de se payer une électrique.

  • Gillesb31

    Par an de cout d’exploitation pour une ligne financés par la region pour 200. 000 voyageurs annuels. Meme si l’on considère un ticket a 2 € (très très cher) cela fait encore 5€ par voyage payés par la collectivité et donc ceux qui ne peuvent pas en profiter et se retrouvent bloqués dans la circulation. A Toulouse un bus a haut niveau de service dessert (dans les deux sens du terme) Plaisance du touch. Bilan un Bus toutes les 20 ‘ et une voie vide avec a la cle des bouchons car on a divise par deux le debit des autres vehicules (soit 5 a 6000 voitures de moins a l’heure pour faire passer une demi douzaine de bus avec 20 passagers en moyenne soit une reduction par 10 de la capacite de transport (même si les bus étaient complet ce serait encore un ration de 5 fois moins en considérant une personne par voiture. Et en plus aucun parking pour venir prendre cette ligne de plus loin, ni de possibilte de monter avec son velo meme pliant! Voila une belle avancee ! Le bus est une hérésie il faut comme dans d’autres endroits développer le covoiturage. Mais cela suppose de créer des place de parking comme à Léguevin. Et d’encourager par des applications la mise en relation simple des usagers. Cette ligne à voie réservée a coûté des sommes colossales en millions d’euros, défigure le centre ville des villages traversés pour un débit ridicule. Pour cent fois moins qu’une ligne de bus on crée des parkings et on divise au minimum par deux le coût du transport pour un usager sans aucune subvention payée par l’impôt ! Mais à qui profite donc cette Gabegie. ?