Pollution automobile : pourquoi l’amélioration des moteurs n’a rien changé

Huit ans après le Dieselgate, les émissions de CO2 des voitures particulières demeurent problématiques, selon un rapport de la Cour des comptes européenne.

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L'empreinte carbone des voitures particulières, sujet sensible s'il en est ! La Cour des comptes européenne revient, huit ans après le Dieselgate, pour vérifier si le renforcement de la réglementation européenne, en 2019, après le scandale Volkswagen a changé la donne. À la lecture des 63 pages du rapport, la réponse est négative.

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Entre 1990 et 2021, la pollution des voitures particulières a augmenté de 15 %, mis à part des baisses occasionnelles provoquées par la pandémie de Covid-19 ou des récessions économiques. Depuis la première législation adoptée en 2009 et jusqu'en 2021, les émissions carbone sont restées « stables pour les voitures diesel et n'ont que très légèrement diminué (- 4,6 %) pour les voitures à essence », constate la Cour.

Des voitures plus lourdes et plus puissantes

Problème : les progrès réalisés en matière d'efficience des moteurs ont été gommés par l'augmentation de la masse des véhicules (environ + 10 % en moyenne entre 2011 et 2022) et de la puissance des moteurs (+ 25 % en moyenne sur la même période). En outre, le parc automobile de l'UE a crû de 211 à 253 millions de voitures entre 2010 et 2021 (+ 20 %). Or, les trois quarts des véhicules neufs mis en circulation en 2022 demeurent à moteur thermique.

La voiture individuelle représentait, en 2021, 56 % des émissions de CO2 du secteur des transports, selon l'Agence européenne de l'environnement. Le secteur des transports est le seul dont les émissions n'ont pas reculé en Europe depuis 1990. Selon la Cour, le moteur électrique apparaît dès lors comme la seule cause réelle d'une première baisse des émissions en 2020, mais le déploiement des VE (véhicules électriques) est encore trop lent et affronte des défis colossaux.

Une controverse sur la fin du moteur thermique

« La révolution verte ne pourra avoir lieu dans l'UE que si le nombre de véhicules polluants en circulation chute drastiquement, mais le défi est immense », estime Pietro Russo, le membre de la Cour responsable de l'audit. « Aucune réduction réelle et tangible des émissions de CO2 des voitures ne sera possible tant que le moteur thermique régnera en maître. Mais l'électrification du parc automobile de l'UE est une entreprise titanesque. »

C'est un point controversé, notamment en Allemagne où le leader du FDP, le ministre des Finances Christian Lindner, proche du constructeur Porsche, considère que l'avenir des eFuels (carburants de synthèse) doit être ménagé comme une alternative au tout électrique. Christian Lindner a été à l'origine d'une crise institutionnelle dans l'adoption de la législation européenne, tandis que le sujet divisait le gouvernement allemand entre les ministres FDP et les ministres écologistes. Néanmoins, l'UE est parvenue à surmonter les divergences et a pu adopter l'objectif de parvenir à 100 % de véhicules neufs n'émettant aucune particule en 2035.

À LIRE AUSSI Moteur thermique : la petite victoire de Christian LindnerCette date butoir a été elle-même contestée. Les autorités néerlandaises estiment que, pour parvenir à la neutralité climatique à l'horizon 2050, les ventes de voitures à moteur thermique devraient cesser en 2030, plutôt qu'en 2035. À l'opposé, au sein de la Commission européenne, le commissaire Thierry Breton plaidait pour reculer l'échéance à 2040 afin de laisser plus de temps d'adaptation aux constructeurs. L'Union européenne (avec l'Islande et la Norvège) est l'une rare des régions au monde à s'être fixé cet objectif de neutralité carbone des voitures particulières avec la Colombie-Britannique (à partir de 2040), une région du Canada, et six États américains (Washington, Oregon, Californie, Vermont, Massachusetts et New York) à partir de 2035.

Les Chinois à l'affût du marché européen

Le sujet est d'autant plus épineux que la conversion du moteur thermique au moteur électrique nécessite, techniquement, moins d'employés dans les usines. Le moteur électrique est plus simple. Pour l'Allemagne, mais pas seulement, il y a une dimension sociale d'accompagnement des salariés du secteur qui va prendre beaucoup d'importance dans les années à venir. L'arrivée sur le marché de véhicules chinois, soupçonnés de dumping (une enquête de la Commission est en cours), n'est pas non plus une très bonne nouvelle. Le grand constructeur chinois BYD a annoncé, en décembre 2023, implanter sa première grande fabrique en Hongrie, à Szeged, où le gouvernement Orban déploie le tapis rouge…

À LIRE AUSSI Climat : l'UE met le cap vers des véhicules à zéro émission de CO2 en 2035

Le scandale du Dieselgate de septembre 2015 (qui avait révélé la tricherie des constructeurs, et Volkswagen en particulier) avait poussé l'Union européenne à agir : le législateur européen a décidé de confier à la Commission européenne un rôle de supervision sur les constructeurs, générant, du reste, une sacrée bureaucratie entre les États membres et le niveau européen. Les véhicules neufs doivent se conformer à 70 spécifications techniques avant leur mise en circulation. L'absence d'outils électroniques adéquats entre le niveau étatique et la supervision européenne ne simplifie pas les choses. D'où des retards dans les vérifications, des problèmes d'exactitudes. « Les données de 2020 ont été publiées près d'un an après la date limite réglementaire », relève la Cour.

L'Italie et les Pays-Bas en défaut de contrôle

Le système, fondamentalement, n'a pas été modifié : les constructeurs doivent réduire les émissions de CO2 des véhicules. Des objectifs leur sont assignés depuis 2012. Et s'ils dépassent les seuils autorisés, ils doivent acquitter des « primes » – on parlerait plutôt d'amendes – pour les émissions excédentaires. D'où l'intérêt de la tricherie… En fait, dans les années 2010, « les constructeurs automobiles ont exploité les failles dans les prescriptions en matière d'essai pour obtenir une réduction des émissions en laboratoire », rappelle l'audit de la Cour des comptes. Ils affichaient ainsi des taux d'émission en laboratoire artificiellement bas et beaucoup moins élevés que les taux enregistrés dans les conditions réelles de conduite.

À LIRE AUSSI La batterie européenne affronte l'AsieOn voyageait donc dans une sorte d'illusion d'optique, sur les routes d'un village Potemkim de la « voiture verte » à essence, jusqu'à ce que le Dieselgate fasse éclater cette bulle. Les tests en laboratoire ont été modifiés après ce scandale. Une nouvelle procédure d'essai sur les véhicules légers est en place depuis 2021. La Cour a contrôlé si les autorités nationales vérifiaient l'authenticité des tests dans trois pays. L'Allemagne a rempli ses obligations, mais ni les autorités italiennes ni les autorités néerlandaises n'ont assisté aux tests.

Une réglementation lourde à mettre en place

La Commission devait vérifier ce processus tous les 5 ans (au plus tard en 2025). En 2023, elle ne l'a pas fait et n'a rien prévu à ce jour, constatent les auditeurs. Ce qui jette un doute sur le crédit des tests effectués par les constructeurs. Les tests sur les véhicules déjà mis en circulation se heurtent, par ailleurs, à des difficultés matérielles qui semblent rendre la législation inopérante… L'intendance ne suit pas toujours.

Enfin, la Cour des comptes relève que, si la différence entre la mesure en laboratoire et celle en conduite réelle a diminué, elle n'a pas été effacée. Les moteurs hybrides n'échappent pas à la critique : en conditions réelles, les émissions de CO2 des véhicules hybrides sont souvent « beaucoup plus élevées que celles enregistrées en laboratoire », écrivent les auditeurs.

Péril sur les matériaux critiques

En somme, pour la Cour, l'essor le plus rapide possible des véhicules électriques est la seule voie à suivre. La Cour s'inquiète du manque d'infrastructures de recharge. Les Pays-Bas, la France et l'Allemagne concentrent 70 % des bornes de recharge de batteries automobiles dans l'UE. Elle recommande de rendre le prix de ces véhicules abordable. Le VE en leasing à 100 euros par mois, lancé par Emmanuel Macron, s'inscrit dans cette démarche. Les 91 000 demandes de renseignement ont rapidement dépassé le stock de 25 000 véhicules prévus cette année.

À LIRE AUSSI Terres rares : comment l'Europe veut rompre avec la dépendance chinoiseFaute de véhicules électriques bon marché, la durée de vie des véhicules à moteur thermique va s'allonger. C'est déjà le cas : l'âge moyen d'une voiture dans l'UE est passé de 7,4 ans en 2014 à 12 ans en 2021. Enfin, l'Europe se trouve devant un défi stratégique majeur : assurer l'approvisionnement de ces usines de VE en matières premières (lithium, cobalt…) dans un contexte mondial difficile où l'on annonce une pénurie mondiale vue l'explosion des usages.

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Commentaires (56)

  • wildbillhicock

    L’argent qui partira en Chine pour acheter des voitures électriques, avec une destruction assur?e des emplois de l’industrie auto europeenne serait bien mieux employé à optimiser les moteurs thermiques et les carburants de synthèse.

  • olifan12

    Emmanuel Berretta semble penser que la Cour en question délivre une parole d'or. Ce qui n'est certainement pas le cas. Il parle aussi de la "tricherie des constructeurs". Ces derniers n'ont pas vraiment triché. Ils ont simplement essayé des moyens de survivre face à l'immense bêtise technocratique des fonctionnaires de Bruxelles.

  • Yuropp

    "Faute de véhicules électriques bon marché" Non ! C'est encore un raisonnement à priori. Le même genre que "quand on coupe toutes les pattes d'une puce et qu'on lui dit "saute", sil elle ne saute pas c'est parce qu'elle est devenue sourde"

    Répondre à ses propres questions avant même de les avoir posées, c'est typique des intégristes de tout poil. Si les gens vont conserver leurs véhicules thermiques contre vents et marées, c'est parce que le service rendu est meilleur. On peut s'attendre à un retour en grâce des carrossiers et des mécanos, qui maintiendront en état à peu près tout ce qui roule, avec des véhicules de 4 ou 5ème main. Ou plus, comme les vieilles Volga soviétiques…
    Et ce à la plus grande rage des fonctionnaires écolo, face à l'échec de leur volonté d'obsolescence programmée. Il y a encore du gilet jaune dans l'air (ces fameux gilets jaune qu'ils nous ont obligé à acheter…).
    Quant aux parisiens, ils n'avaient qu'à faire attention pour qui ils votent.